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  • Nathalie Müller

Résultats

Après plusieurs mois en mer, même totalement immergés, ou encore soumis à des attaques corrosives importantes lors du test de vieillissement en laboratoire, les capteurs sont dans la quasi-totalité restés fonctionnels. Cela n’a pas été le cas des jauges de déformations électriques soumises au même test de vieillissement que les capteurs FBG, qui ont toutes été hors service au cours de l’essai. Cela confirme bien la durabilité en milieu marin des capteurs FBG. En ce qui concerne la surveillance de la grouted connection, une instrumentation interne, et donc protégée du développement de la biomasse et d’attaques mécaniques fortes pourrait être envisagée, même dans un cas totalement immergé et soumis à la corrosion.

Dans un deuxième temps, un modèle numérique de grouted connection a été mis en place, afin de mieux appréhender le comportement mécanique de la structure, ainsi que les nonlinéarités présentes à l’état sain et endommagé de la structure. Le modèle CDP (Concrete Damage Plasticity) a été sélectionné pour modéliser le coulis de liaison. Pouvant modéliser la dégradation progressive de la raideur du matériau, il arrive à couvrir le comportement plastique par traction, ce qui le rend idéal pour la modélisation d’une structure de type béton soumise à un chargement cyclique et dynamique. Deux types d’endommagement ont été simulés : des fissures au sein de la matrice du coulis et l’endommagement de l’interface acier-coulis. Les fissures ont été modélisées par la mise en place de noeuds de maillage initialement joints et séparés lors de la simulation dynamique de la structure (i.e. « seam crack »). L’endommagement de l’interface a été modélisé par un changement de coefficient de friction à l’interface. Les réponses en déformation de la surface externe de la grouted connection ont ensuite été extraites du modèle, afin d’évaluer la faisabilité de suivre l’endommagement par la mise en place de capteurs sur la surface acier externe. Une fois les données analysées, une méthode basée sur l’identification d’harmoniques non-linéaires au sein de la réponse vibratoire de la structure (par analyse dans le domaine fréquentiel et calcul de la densité d’énergie spectrale) a permis de proposer la mise en place d’indicateurs d’endommagement. L’analyse numérique et les calculs d’indicateurs d’endommagement ont montré que la méthode pourrait être utilisée pour détecter l’endommagement, mais également pour le localiser et identifier sa sévérité. En effet, différents niveaux de détection peuvent être atteints avec un SHM [Rytter 1993]: niveau 1 – détecter l’endommagement de la structure, niveau 2 – détecter et localiser l’endommagement de la structure, niveau 3 – détecter, localiser et estimer la gravité de l’endommagement de la structure, niveau 4 – détecter, localiser, estimer la gravité de l’endommagement et renseigner sur l’état de vieillissement, et de sécurité de la structure. Il faut savoir que les niveaux 3-4 sont très rarement atteints lors du développement d’un système SHM, ce qui est un challenge majeur du secteur. Il doit toutefois être noté que, la modélisation de l’endommagement d’interface acier-coulis conduite comme présentée ci-dessus, sous-estime les non-linéarités dans la structure et donc les valeurs d’indicateur d’endommagement correspondantes sont également sous-estimées. Dans un troisième temps, la méthode a été testée lors d’un essai de fatigue sur un spécimen de grouted connection à grande échelle. En effet, par une collaboration avec l’Université Leibniz d’Hanovre (Institute for Steel Construction, Leibniz University of Hannover), qui effectuait des essais de fatigue sur grouted connection en milieu humide, j’ai pu concevoir et installer un système SHM basé sur des capteurs FBG, pour surveiller l’endommagement du specimen durant l’essai de fatigue. L’essai de fatigue consistait à incrémenter progressivement un chargement/déchargement axial durant des phases de 100000 cycles. Le système SHM consistait en des capteurs FBG nus, appliqués à la surface acier externe du spécimen. Les capteurs ont été positionnés dans la zone où des endommagements pourraient apparaître, d’après l’étude numérique conduite précédemment. Le chargement étant axial et le spécimen symétrique, un design symétrique a également été proposé. 9 capteurs optiques FBG ont été utilisés pour les mesures de déformations et 3 pour la compensation de température. Après l’essai, les premières analyses statistiques du signal ont été menées. Puis pour pouvoir détecter l’endommagement durant l’essai, les caractéristiques des réponses des signaux FBG ont été extraites par une analyse temps-fréquence appelée Pseudo Wigner-Ville Distribution et une de ses propriétés marginales, la densité d’énergie spectrale. Finalement, les indicateurs d’endommagement DI basés sur l’identification d’harmoniques non-linéaires dans le signal (comme testé numériquement précédemment) ont été calculés pour suivre l’initiation de l’endommagement et sa progression.

Trois grandes phases d’endommagement ont été repérées par tous les signaux FBG : une progression non-linéaire du DI suivie d’une stabilisation et progressive augmentation (ou diminution) linéaire du DI et finalement une augmentation brutale non-linéaire du DI. Selon la théorie de la courbe de fluage du béton, cela correspondrait à l’apparition non-linéaire de microfissurations probablement à l’interface acier-coulis, un agrandissement progressif et linéaire de ces microfissurations, puis apparition et propagation de manière instable de macrofissurations. De plus, l’endommagement final a été détecté de manière précoce en comparaison avec les premiers déplacements moyens mesurés. Et des informations sur la localisation de l’endommagement ont été également obtenues, comme le fait que l’endommagement s’est initialisé sur la partie haute du specimen probablement dû a un endommagement de l’interface et à la contraction autogène du coulis avant l’essai ; et qu’en fin d’essai un endommagement sur la partie basse du coulis s’est produit. D’après les observations recueillies, il s’agissait bien de macro-fissurations apparues dans la matrice du coulis en fin d’essai, juste avant rupture du specimen. La méthode semble donc bien adaptée pour le suivi de l’endommagement.

Différentes améliorations et poursuites de ce travail sont envisageables. Afin d’améliorer la compréhension du comportement non-linéaire de la grouted connection lors de son endommagement et donc la détection et l’identification de l’endommagement, le modèle numérique pourrait être en effet amélioré de plusieurs manières :
– La modélisation de l’endommagement de l’interface pourrait être améliorée, afin d’obtenir un comportement non-linéaire plus proche de la réalité. Cette modélisation devrait pouvoir simuler avec une intensité plus ou moins forte les différents mécanismes à l’interface, que sont le glissement pur, le micro-glissement et les déplacements par-à-coups (stick-slip). Il serait intéressant de modéliser également la présence d’aspérités et l’éventuelle perte de matériel à l’interface.
– Puis, les méthodes XFEM (eXtended Finite Element Method) et de comportement cohésif de surface (surface based cohesive behaviour) pourrait permettre de modéliser la progressive formation de fissurations dans la matrice du coulis et le décollement progressif de l’interface acier-coulis.
– Le modèle numérique actuel ne prend pas non plus en considération les conditions humides dans lequel la grouted connection pourrait être soumise, ce qui pourrait modifier le comportement mécanique non-linéaire et l’endommagement à l’interface acier-coulis.

Concernant la méthode de détection, celle-ci pourrait être testée numériquement et expérimentalement dans de nouvelles conditions d’essai, comme par exemple avec des variations de fréquences et d’amplitude de chargements dynamiques, mais également avec des variations environnementales comme la température, ou l’affouillement du sol. Il est à noter également que cette méthode de détection pourrait être appliquée pour détecter un endommagement dans d’autres matériaux et en utilisant d’autres capteurs que des capteurs FBG. Pour améliorer la localisation et l’évaluation de la sévérité de l’endommagement, de nouveaux essais de fatigue sur des spécimens de grouted connection instrumentés avec de la fibre optique et des capteurs acoustiques sont en cours. Finalement, en vue de convaincre les parties prenantes, les performances technologiques et l’efficacité des méthodes pour détecter l’endommagement ne sont pas suffisantes. Quantifier le bénéfice durant la durée de vie de l’éolienne est indispensable. Les bénéfices et coûts engendrés par la mise en place d’une stratégie de maintenance conditionnelle basée sur de l’inspection avec des outils non-destructifs (NDT) et des mesures par SHM, doivent être comparés aux bénéfices et coûts d’une stratégie de maintenance préventive avec uniquement de l’inspection. Cela fait appel au concept théorique de la valeur de l’information. C’était le but de l’action COST 1402, ‘Quantifying the added value of SHM’, qui s’est achevée en 2018. En 2017, un appel dont la thématique était l’inspection de l’intégrité du coulis des éoliennes offshores et des défauts de soudures a été lancé par Carbon Trust (« Subsea inspection competition »1). Les méthodes d’inspection du coulis et des soudures sont en effet limitées et ne fournissent pas aujourd’hui suffisamment d’informations aux développeurs d’éolien offshore. Il y a une connaissance limitée de l’intégrité des structures, ce qui peut amener à des mesures de précautions coûteuses dans les régimes d’inspection, comme le recours à de la maintenance préventive conservative ou à des inspections plus régulières. Ainsi, la détection d’endommagement du coulis par SHM pourrait être une application intéressante sachant que la détection avec les outils d’inspection NDT est encore aujourd’hui un challenge.