Résumé de la thèse
Cette thèse s’est déroulée dans le cadre du projet de recherche SHM-Grout, bénéficiant d’un financement WEAMEC dans le cadre de son appel à projet Recherche.
Résumé
Pour maximiser la production d’énergie et réduire le coût de l’électricité des fermes éoliennes offshores, l’optimisation des coûts d’opération et maintenance (O&M) apparaît comme une solution clé, afin de rendre le secteur plus compétitif. Cela passe notamment par une réduction des opérations de maintenance imprévues, qui constituent environ 65% des coûts d’O&M, d’après une étude conduite par BVGassociates [BVGassociates 2012]. Ainsi, par le développement de nouvelles stratégies et outils de maintenance, des améliorations significatives pourraient être apportées. En effet, l’introduction d’une stratégie dite « conditionnelle » de maintenance permettrait de réduire les coûts. Cette dernière consiste à éviter des endommagements de composants majeurs et limiter les arrêts imprévus de l’éolienne, grâce à de la surveillance en continue. En détectant un endommagement de manière précoce, d’éventuelles réparations coûteuses et imprévues (i.e. maintenance corrective) pourraient être évitées ; et des décisions visant la fréquence d’inspection ou de maintenance (i.e. maintenance préventive) pourraient être optimisées. On distingue la surveillance des composants rotatifs situés dans la nacelle de l’éolienne (appelée « Condition Monitoring »), de celle qui concerne les parties structurelles de l’éolienne (appelée « Structural Health Monitoring »).
Ces dernières années, un intérêt grandissant est apparu pour les systèmes de monitoring dit de « Condition Monitoring », qui sont devenus aujourd’hui un standard et figurent parmi les équipements requis pour un bon fonctionnement et une maintenance optimisée de l’éolienne. Il en va tout autrement pour le monitoring de la structure ou « Structural Health Monitoring » (SHM) : à ce jour les pâles sont une des rares parties structurelles de l’éolienne qui peuvent bénéficier d’un système commercial complet de monitoring, allant de l’instrumentation, à l’analyse des données et aux déclenchements d’alarmes pour une prise décisionnelle adaptée. Pourtant la demande des développeurs est croissante, notamment pour certaines parties structurelles critiques de l’éolienne comme le coulis de liaison, qui fait l’objet de cette thèse. Le coulis de liaison (ou « grouted connection ») est une technique très répandue dans le milieu offshore et notamment pour les fondations dans le secteur pétrolier. Il s’agit d’un joint de ciment haute performance permettant la connexion entre deux cylindres d’acier concentriques. Cette technique a été reprise dans le secteur de l’éolien offshore pour connecter la structure de l’éolienne à sa fondation. Selon le type de fondation, le joint est localisé soit entre la pièce de transition et la structure immergée de l’éolienne dans le cas d’une fondation de type « monopieu» ; ou entre la structure immergée et le pieu de fondation dans le cas d’une fondation de type « jacket » ou « tripode ». Cependant les efforts dynamiques que subit l’éolienne sont très différents de ceux retrouvés sur les plateformes offshores. En 2009-2010, un glissement progressif de la liaison a été observé sur près de 600 des 988 éoliennes offshores (type « monopieu ») en Mer du Nord. Le coulis de liaison est donc une zone critique de la structure de l’éolienne. Des recherches sont en cours afin de mieux comprendre d’une part le mécanisme d’endommagement lié à la fatigue du matériau, mais également l’impact de l’infiltration d’eau sur ce mécanisme d’endommagement. L’implémentation d’un système de monitoring (SHM) pour le coulis de liaison permettrait de surveiller la dégradation du coulis avant rupture, afin d’apporter un appui décisionnel dans la stratégie d’O&M in situ, mais également afin d’améliorer les modèles et donc les outils et méthodes de conception en laboratoire. Cette thèse se propose d’étudier la mise en place d’un système de monitoring pour ce coulis de liaison, basé sur l’usage de capteurs optiques à réseaux de Bragg et sur une méthode de détection vibratoire non-linéaire.
Les capteurs à fibres optiques tel que les capteurs à réseaux de Bragg (FBG) sont en effet de bons candidats à la mesure en environnement marin et présentent de nombreux avantages comparativement aux capteurs électriques conventionnels, tel que l’immunité aux interférences électromagnétiques, la perte faible de transmission du signal, la résistance en milieu corrosif, ou encore la possibilité d’intégrer de multiples capteurs au sein d’une même fibre. De même, parmi les différentes méthodes de détection, les méthodes dites non-linéaires présenteraient un avantage pour la surveillance du coulis de liaison des éoliennes offshore. En effet, les méthodes linaires seraient limitées du fait que le coulis présente un comportement mécanique non-linéaire ; et que ces méthodes linéaires sont de plus sensibles aux changements environnementaux qui peuvent apparaitre en milieu marin, comme la variation de température, un changement de la mécanique du sol dû à de l’affouillement, ou encore un changement de masse dû à la présence de biomasse sur la structure.
Afin d’étudier la pertinence du système de monitoring proposé, cette thèse se propose de travailler principalement sur deux enjeux majeurs au développement du SHM : la tenue des capteurs en milieu opérationnel, et la possibilité d’acquérir suffisamment d’informations sur la santé de la structure, afin qu’une décision adaptée puisse être prise, et qui aboutirait à une réduction des coûts d’O&M. Dans un premier temps, la fiabilité et la durabilité en mer de capteurs FBG ont été étudiées. En effet, il est nécessaire que le système SHM mis en place soit fiable, y compris dans le milieu spécifique où il sera installé ; et sur le long terme. Les capteurs sont soumis à de nombreuses menaces extérieures en milieu marin, et des mesures doivent être prises pour garantir une mesure fiable. Cependant, il n’existe pas de standard en ce qui concerne l’application et la protection des capteurs fibre optique en milieu marin. Comme mentionné par [Habel et al. 2014], à part quelques recommandations générales instruites par des industriels, il n’existe pas de règlementation ou guide stipulant comment préparer la zone de mesure, quel matériel devrait être utilisé pour la protection, la fixation ou l’intégration du capteur soumis à des contraintes et attaques environnementales particulières, comme c’est la cas en milieu offshore. C’est pourquoi, des données issues de précédentes expérimentations sur site côtier et en laboratoire ont été utilisées, afin d’évaluer la tenue des capteurs en conditions marines. Un total de 46 capteurs a été testé sur le site expérimental côtier de List, sur l’île de Sylt, sur une période d’environ un an et demi, en zone de battance des marées. Puis pendant trois mois des tests complémentaires ont été effectués avec 12 nouveaux capteurs dans la chambre du climat de Fraunhofer IWES, avec pour objectif de simuler un test de vieillissement des capteurs dans des conditions similaires à la zone de battance des marées. La zone de battance des marées est considérée comme l’une des plus agressives, notamment du fait de la forte présence de biomasse et de corrosion dans cette zone. Des essais en mer sont apparus principalement les problématiques et recommandations suivantes :
– Protéger le capteur des agressions mécaniques extérieures par une protection suffisamment robuste et durable pour le capteur et son câble, mais suffisamment
flexible également, car cela pourrait affecter sinon les mesures du capteur. En effet, si une déformation plastique apparait au niveau de la protection trop rigide du capteur, le champ de déformation autour du capteur sera non-homogène et il pourra en découler des erreurs de mesure.
– Eviter l’installation du capteur dans une zone où un développement intense de biomasse pourrait survenir. En effet, si des organismes tels des balanes croissent autour et sur le capteur, cela pourrait engendrer un décollement de la protection du capteur résultant également en un champ de déformation non-uniforme, et il pourrait en découler des erreurs de mesure.
– Réduire les potentielles infiltrations d’eau de mer. Le fait que l’infiltration puisse se faire par capillarité jusqu’à la connectique doit également être considéré avec attention.
Le jury est composé de :
Peter Schaumann, Professeur, Leibniz Universität Hannover
Frédéric Dufour, Professeur des universités, INP Grenoble
Sylvie Lesoille Ingénieur de recherche, HDR, ANDRA
Dir. de thèse : Dominique Leduc Maître de Conférence, HDR, Université de Nantes
Co-dir. de thèse : Peter Kraemer, Professeur, Universität Siegen
Co-dir. de thèse : Franck Schoefs, Professeur, Université de Nantes
Invité : Philippe Baclet
Nom de l'organisme ou du doctorant/rédacteur
- Nathalie Müller
Résultats
Après plusieurs mois en mer, même totalement immergés, ou encore soumis à des attaques corrosives importantes lors du test de vieillissement en laboratoire, les capteurs sont dans la quasi-totalité restés fonctionnels. Cela n’a pas été le cas des jauges de déformations électriques soumises au même test de vieillissement que les capteurs FBG, qui ont toutes été hors service au cours de l’essai. Cela confirme bien la durabilité en milieu marin des capteurs FBG. En ce qui concerne la surveillance de la grouted connection, une instrumentation interne, et donc protégée du développement de la biomasse et d’attaques mécaniques fortes pourrait être envisagée, même dans un cas totalement immergé et soumis à la corrosion.
Dans un deuxième temps, un modèle numérique de grouted connection a été mis en place, afin de mieux appréhender le comportement mécanique de la structure, ainsi que les nonlinéarités présentes à l’état sain et endommagé de la structure. Le modèle CDP (Concrete Damage Plasticity) a été sélectionné pour modéliser le coulis de liaison. Pouvant modéliser la dégradation progressive de la raideur du matériau, il arrive à couvrir le comportement plastique par traction, ce qui le rend idéal pour la modélisation d’une structure de type béton soumise à un chargement cyclique et dynamique. Deux types d’endommagement ont été simulés : des fissures au sein de la matrice du coulis et l’endommagement de l’interface acier-coulis. Les fissures ont été modélisées par la mise en place de noeuds de maillage initialement joints et séparés lors de la simulation dynamique de la structure (i.e. « seam crack »). L’endommagement de l’interface a été modélisé par un changement de coefficient de friction à l’interface. Les réponses en déformation de la surface externe de la grouted connection ont ensuite été extraites du modèle, afin d’évaluer la faisabilité de suivre l’endommagement par la mise en place de capteurs sur la surface acier externe. Une fois les données analysées, une méthode basée sur l’identification d’harmoniques non-linéaires au sein de la réponse vibratoire de la structure (par analyse dans le domaine fréquentiel et calcul de la densité d’énergie spectrale) a permis de proposer la mise en place d’indicateurs d’endommagement. L’analyse numérique et les calculs d’indicateurs d’endommagement ont montré que la méthode pourrait être utilisée pour détecter l’endommagement, mais également pour le localiser et identifier sa sévérité. En effet, différents niveaux de détection peuvent être atteints avec un SHM [Rytter 1993]: niveau 1 – détecter l’endommagement de la structure, niveau 2 – détecter et localiser l’endommagement de la structure, niveau 3 – détecter, localiser et estimer la gravité de l’endommagement de la structure, niveau 4 – détecter, localiser, estimer la gravité de l’endommagement et renseigner sur l’état de vieillissement, et de sécurité de la structure. Il faut savoir que les niveaux 3-4 sont très rarement atteints lors du développement d’un système SHM, ce qui est un challenge majeur du secteur. Il doit toutefois être noté que, la modélisation de l’endommagement d’interface acier-coulis conduite comme présentée ci-dessus, sous-estime les non-linéarités dans la structure et donc les valeurs d’indicateur d’endommagement correspondantes sont également sous-estimées. Dans un troisième temps, la méthode a été testée lors d’un essai de fatigue sur un spécimen de grouted connection à grande échelle. En effet, par une collaboration avec l’Université Leibniz d’Hanovre (Institute for Steel Construction, Leibniz University of Hannover), qui effectuait des essais de fatigue sur grouted connection en milieu humide, j’ai pu concevoir et installer un système SHM basé sur des capteurs FBG, pour surveiller l’endommagement du specimen durant l’essai de fatigue. L’essai de fatigue consistait à incrémenter progressivement un chargement/déchargement axial durant des phases de 100000 cycles. Le système SHM consistait en des capteurs FBG nus, appliqués à la surface acier externe du spécimen. Les capteurs ont été positionnés dans la zone où des endommagements pourraient apparaître, d’après l’étude numérique conduite précédemment. Le chargement étant axial et le spécimen symétrique, un design symétrique a également été proposé. 9 capteurs optiques FBG ont été utilisés pour les mesures de déformations et 3 pour la compensation de température. Après l’essai, les premières analyses statistiques du signal ont été menées. Puis pour pouvoir détecter l’endommagement durant l’essai, les caractéristiques des réponses des signaux FBG ont été extraites par une analyse temps-fréquence appelée Pseudo Wigner-Ville Distribution et une de ses propriétés marginales, la densité d’énergie spectrale. Finalement, les indicateurs d’endommagement DI basés sur l’identification d’harmoniques non-linéaires dans le signal (comme testé numériquement précédemment) ont été calculés pour suivre l’initiation de l’endommagement et sa progression.
Trois grandes phases d’endommagement ont été repérées par tous les signaux FBG : une progression non-linéaire du DI suivie d’une stabilisation et progressive augmentation (ou diminution) linéaire du DI et finalement une augmentation brutale non-linéaire du DI. Selon la théorie de la courbe de fluage du béton, cela correspondrait à l’apparition non-linéaire de microfissurations probablement à l’interface acier-coulis, un agrandissement progressif et linéaire de ces microfissurations, puis apparition et propagation de manière instable de macrofissurations. De plus, l’endommagement final a été détecté de manière précoce en comparaison avec les premiers déplacements moyens mesurés. Et des informations sur la localisation de l’endommagement ont été également obtenues, comme le fait que l’endommagement s’est initialisé sur la partie haute du specimen probablement dû a un endommagement de l’interface et à la contraction autogène du coulis avant l’essai ; et qu’en fin d’essai un endommagement sur la partie basse du coulis s’est produit. D’après les observations recueillies, il s’agissait bien de macro-fissurations apparues dans la matrice du coulis en fin d’essai, juste avant rupture du specimen. La méthode semble donc bien adaptée pour le suivi de l’endommagement.
Différentes améliorations et poursuites de ce travail sont envisageables. Afin d’améliorer la compréhension du comportement non-linéaire de la grouted connection lors de son endommagement et donc la détection et l’identification de l’endommagement, le modèle numérique pourrait être en effet amélioré de plusieurs manières :
– La modélisation de l’endommagement de l’interface pourrait être améliorée, afin d’obtenir un comportement non-linéaire plus proche de la réalité. Cette modélisation devrait pouvoir simuler avec une intensité plus ou moins forte les différents mécanismes à l’interface, que sont le glissement pur, le micro-glissement et les déplacements par-à-coups (stick-slip). Il serait intéressant de modéliser également la présence d’aspérités et l’éventuelle perte de matériel à l’interface.
– Puis, les méthodes XFEM (eXtended Finite Element Method) et de comportement cohésif de surface (surface based cohesive behaviour) pourrait permettre de modéliser la progressive formation de fissurations dans la matrice du coulis et le décollement progressif de l’interface acier-coulis.
– Le modèle numérique actuel ne prend pas non plus en considération les conditions humides dans lequel la grouted connection pourrait être soumise, ce qui pourrait modifier le comportement mécanique non-linéaire et l’endommagement à l’interface acier-coulis.
Concernant la méthode de détection, celle-ci pourrait être testée numériquement et expérimentalement dans de nouvelles conditions d’essai, comme par exemple avec des variations de fréquences et d’amplitude de chargements dynamiques, mais également avec des variations environnementales comme la température, ou l’affouillement du sol. Il est à noter également que cette méthode de détection pourrait être appliquée pour détecter un endommagement dans d’autres matériaux et en utilisant d’autres capteurs que des capteurs FBG. Pour améliorer la localisation et l’évaluation de la sévérité de l’endommagement, de nouveaux essais de fatigue sur des spécimens de grouted connection instrumentés avec de la fibre optique et des capteurs acoustiques sont en cours. Finalement, en vue de convaincre les parties prenantes, les performances technologiques et l’efficacité des méthodes pour détecter l’endommagement ne sont pas suffisantes. Quantifier le bénéfice durant la durée de vie de l’éolienne est indispensable. Les bénéfices et coûts engendrés par la mise en place d’une stratégie de maintenance conditionnelle basée sur de l’inspection avec des outils non-destructifs (NDT) et des mesures par SHM, doivent être comparés aux bénéfices et coûts d’une stratégie de maintenance préventive avec uniquement de l’inspection. Cela fait appel au concept théorique de la valeur de l’information. C’était le but de l’action COST 1402, ‘Quantifying the added value of SHM’, qui s’est achevée en 2018. En 2017, un appel dont la thématique était l’inspection de l’intégrité du coulis des éoliennes offshores et des défauts de soudures a été lancé par Carbon Trust (« Subsea inspection competition »1). Les méthodes d’inspection du coulis et des soudures sont en effet limitées et ne fournissent pas aujourd’hui suffisamment d’informations aux développeurs d’éolien offshore. Il y a une connaissance limitée de l’intégrité des structures, ce qui peut amener à des mesures de précautions coûteuses dans les régimes d’inspection, comme le recours à de la maintenance préventive conservative ou à des inspections plus régulières. Ainsi, la détection d’endommagement du coulis par SHM pourrait être une application intéressante sachant que la détection avec les outils d’inspection NDT est encore aujourd’hui un challenge.